Le secret méconnu sur le droit de grève dans la fonction publique qui protège vos droits tout en garantissant la continuité du service

Droit de grève dans la fonction publique : enjeux, règles et limites #

Fondements juridiques du droit de grève pour les agents publics #

Le droit de grève des agents publics trouve sa source dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, intégralement repris par la Constitution du 4 octobre 1958. Son article 7 stipule clairement que « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent », ce qui lui confère un statut constitutionnel protégé mais aménagé. Ce droit est ensuite décliné dans le Code du travail et le Code général de la fonction publique (notamment articles L2512-1 à L2512-5 du Code du travail et L114-1 à L114-10 pour la fonction publique), précisant les conditions de légitimité et les garanties accordées aux agents (fonctionnaires titulaires, stagiaires et contractuels).

  • La Cour de cassation et le Conseil d’État affirment ces principes dans des jurisprudences fondatrices remontant à 1950 (Arrêt Dehaene) et les actualisent régulièrement pour tenir compte des évolutions du service public.
  • Des lois spécifiques, telles que la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 sur la continuité du service public dans les transports terrestres, traduisent la volonté du législateur d’arbitrer entre droits collectifs et intérêt général.

Au fil des années, la fonction publique s’est structurée autour du principe selon lequel l’exercice du droit de grève reste possible, mais doit toujours sauvegarder l’essence même du service à la population.

Procédure et conditions obligatoires pour déclencher un mouvement #

Pour initier une grève au sein de la fonction publique, la loi impose des conditions spécifiques et un formalisme scrupuleux, bien plus strict que dans le secteur privé. À la différence de sociétés telles que Renault ou BNP Paribas où un simple déclenchement collectif suffit, il devient obligatoire pour les agents publics de respecter la procédure de préavis.

  • Un préavis écrit doit être déposé au moins cinq jours francs avant le début de la grève par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives.
  • Les revendications professionnelles doivent être clairement recensées dans le préavis, qui doit également spécifier les secteurs et services concernés : cette mention fut, par exemple, cruciale dans le dépôt de préavis de grève par l’Union syndicale Solidaires Fonction Publique en avril-mai 2025.
  • Durant ce délai, l’administration compétente et les syndicats doivent établir une concertation active, avec l’objectif affiché de parvenir à une résolution du conflit sans cessation effective du travail.

À l’opposé du privé, l’absence de préavis entraîne l’illicéité du mouvement et des sanctions potentielles envers les agents. Les préavis structurent donc le dialogue social, tout en permettant à l’État ou aux collectivités territoriales d’anticiper les perturbations et organiser la continuité du service.

Différences selon les trois versants de la fonction publique #

Les règles en matière de droit de grève présentent des variations notables selon qu’il s’agisse de la fonction publique d’État, de la fonction publique territoriale, ou de la fonction publique hospitalière. Chacune de ces composantes dispose de textes et de jurisprudences spécifiques, s’adaptant à ses missions et à son mode d’organisation.

  • Dans la fonction publique territoriale, le service minimum est mis en œuvre de façon prioritaire dans les services d’accueil des écoles maternelles et primaires, selon les dispositions de la loi du 20 août 2008, comme observé à Lille ou Nice lors des mouvements de grève de 2022 et 2023.
  • Pour la fonction publique hospitalière, les obligations de continuité et de sécurité sanitaire sont renforcées. À l’occasion de la pandémie de Covid-19, les grèves de personnels soignants à l’AP-HP (Assistance Publique–Hôpitaux de Paris) en 2020 ont illustré la complexité de concilier droit collectif et nécessité vitale pour les usagers.
  • Dans la fonction publique d’État (enseignants, policiers, douaniers), la législation prévoit des adaptations du préavis et des obligations de service, illustrées lors de la grève des enseignants du Rectorat de Versailles en janvier 2024.

L’application des règles s’appuie sur la notion de service indispensable à l’ordre public, à la sécurité et à la santé, chaque secteur étant évalué en fonction des enjeux spécifiques liés à sa mission.

Restrictions et interdictions encadrant l’exercice du droit de grève #

Le cadre juridique français liste précisément les formes interdites d’exercice du droit de grève, afin d’éviter toute déstabilisation excessive de l’ordre public et des structures administratives. Les interdictions sont compatibles avec la liberté syndicale lorsque l’ordre public ou la sécurité nationale pourraient être mis en cause.

  • La grève tournante, consistant à arrêter le travail de façon alternée dans différents services pour maximiser la gêne, est prohibée par la Court de cassation autour de cas vérifiés en 2018 et 2021.
  • Les mouvements à caractère purement politique ou dénués de revendications professionnelles sont en dehors du champ légal, comme l’a rappelé la décision du Conseil d’État du 7 juillet 1978 concernant les grèves pour protester contre des décisions de politique générale sans rapport direct avec les conditions de travail.
  • Les occupations de locaux et blocages physiques des sites administratifs ou scolaires, telles que constatées à la Mairie de Toulouse en mars 2023, constituent des délits pénalement répréhensibles.

Ces limitations, jugées conformes par le Conseil constitutionnel, répondent au double impératif de la garantie des libertés individuelles et de la stabilité des missions publiques stratégiques.

Garanties, sanctions et conséquences pour les agents grévistes #

Les protections offertes aux agents qui exercent licitement leur droit de grève témoignent de la reconnaissance de la légitimité de leur action, tout en imposant un régime de conséquences financières et administratives.

  • Aucune sanction disciplinaire ne peut être prise pour le seul fait d’avoir participé à un mouvement de grève authentique et déclaré.
  • Les agents subissent toutefois une retenue proportionnelle sur leur traitement pour chaque période non travaillée, selon la règle dite du « trentième indivisible », popularisée dans l’Éducation nationale en 2023 suite à des grèves contre la réforme des retraites.
  • La mention d’une participation à une grève est strictement interdite sur les bulletins de paie, comme l’impose l’article R3243-4 du Code du travail, assurant le respect de la vie privée et la non-discrimination.

Dans le cas de l’instauration d’un service minimum, les agents désignés doivent demeurer à leur poste, même en cas de grève générale, sous peine de sanctions et de réquisitions, situation régulièrement observée lors des grèves à la RATP à Paris en décembre 2019.

Continuité du service public, service minimum et réquisitions #

Afin d’assurer le bon fonctionnement des structures essentielles en période de mouvement social, plusieurs dispositifs sont légalement mis en œuvre pour garantir la continuité du service public. Les « services minimums » ou mesures de réquisition constituent des outils d’équilibrage entre droits individuels et sécurité collective.

  • Depuis la loi du 21 août 2007, le secteur des transports terrestres réguliers de voyageurs (SNCF, RATP, réseaux urbains de Lyon, Bordeaux, Lille) doit en permanence assurer un seuil réduit de fonctionnement, quelle que soit l’ampleur des arrêts de travail.
  • Dans l’Éducation nationale, la loi du 20 août 2008 institue un accueil obligatoire des enfants des écoles primaires et maternelles, applicable dans des villes telles que Toulouse ou Strasbourg en période de grèves massives.
  • En cas de danger grave, les préfets ou autorités investies de pouvoirs de police peuvent procéder à la réquisition d’agents, mesure remarquée lors des grèves hospitalières à l’AP-HM (Marseille) en février 2024.

Ces dispositifs doivent cependant respecter les droits fondamentaux des agents et demeurer limités dans leur portée. La jurisprudence du Conseil d’État fixe un cadre strict à ces pratiques pour éviter tout détournement et assurer l’équilibre entre le droit de grève et les obligations de service.

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